Enseigner le basson aujourd'hui : une chance ou une gageure ?

Enseignant le basson depuis plus de 13 ans, concerné directement par la réforme du schéma directeur de 1991, suivant aussi les aléas de la vie artistique française intermittente, ces trois événements me semblaient suffisamment forts et significatifs pour faire le point sur mon métier. Et déterminer à l'examen de ces changements, ce que pourrait être mon projet de classe.

Tout d'abord, le définir en accord avec mon parcours artistique qui m'a amené à explorer des voies apparemment éloignées de la pratique du basson, comme la rencontre avec un chiropracteur,un trompettiste et une chanteuse. Mais aussi l'accorder au sein d'un conservatoire, tant il me semble qu'on ne peut plus isoler l'enseignement d'une pratique instrumentale d'autres disciplines telles la formation musicale, mais aussi les pratiques collectives.

Aborder ces points, c'est aussi assurer une démarche qui prend en compte l'élève comme centre de nos actions pédagogiques.

INTRODUCTION

Peut-être l'énoncé de mon sujet n'apparaît pas comme matière pédagogique qui aboutirait, après quelques considérations et justifications, à un document assimilable en termes d'actions concrètes à faire selon les canons administratifs tout à fait louables de mon métier (coût, lieu, temps), en relation avec les acteurs habituels et privilégiés d'un professeur (élèves, parents, collègues, directeur de conservatoire, service culturel de mairie ou professeurs de l'éducation national, compositeurs...). Il se veut en premier lieu être une photographie concrète d'un artiste musicien en prise avec le métier d'enseignant qu'il pratique depuis plus de 13 ans.

Quoi de plus banal, si ce n'est qu'arrivé à une certaine maturité dans l'enseignement d'un instrument rare, le basson, il était opportun pour moi de faire le point sur ce que je fais. Est ce l'énergie importante qu'il faut développer pour « monter une classe de basson », ou disons le tout de suite un contexte général difficile pour la « profession artistique d'enseignement » (en particulier, la pratique rare de mon instrument, liée à l'investissement plus ou moins grand des collectivités à maintenir cette discipline, est à priori un facteur aggravant ) qui est à l'origine d'un regard rétrospectif sur ce que je fais, sur ce qui me semble sous tendre mes choix ? Probablement les deux.

La première partie de ce travail sera donc dédiée à préciser ce qu'est pour moi la pratique musicale, ce qu'elle me semble être du point de vue de l'enseigné et de sa place dans la société actuellement. La conjonction de deux conditions de travail que j'ai nommées dans l'alinéa précédent aura en tout cas été décisive dans l'orientation de la mise à plat de mon métier.

Pour résumer, la question n'est pas tant de savoir ce que je fais, mais d'essayer de comprendre pourquoi je le fais, de discuter de l'utilité sociale de mon activité. Je dois dire que ce questionnement des relations du binôme enseignement musical/société a déjà été traité par des personnes formées à des études sociologiques. Notamment la lecture du livre « Ecoles de musique, un changement bien tempéré », (Jean-Claude Lartigot et Eric Sprogis, Edisud), m'a été inspirante sur le recul que je prends sur ma profession. En toute honnêteté, ce regard de la société sur la pratique m'avait déjà été présenté dans mes études pédagogiques, mais je n'en avais pas perçu toute l'acuité, concentré sur mon instrument et insouciant des implications à long terme. Mais ma spécialisation artistique m'autorise à considérer plus spécialement cette question en fonction de mes compétences à la fois musicales et pédagogiques et à présenter à partir du cadre de professeur de basson dans un conservatoire un projet viable. Quand j'écris projet viable, il ne s'agit pas pour moi d'une projection née d'une réflexion théorique ou opportuniste et qui pourrait trouver une concrétisation immédiate simplement par l'agencement d'un menu éducatif à thème ou d'une connexion entre deux acteurs socioculturels qui auraient un intérêt circonstanciel à s'associer. D'une part l'impératif vital pour moi, c'est de retirer un profit personnel, constructif dans mon activité pédagogique, d'autre part il s'agit de savoir si mon activité a un avenir, tant il semble aujourd'hui que l'impératif économique et financier semble éradiquer tout ce qui n'est pas utile ou ce qui coûte trop cher.

Et donc si mon projet est viable, il reste, et c'est le second lieu de cet essai à l'inscrire dans l'espace- temps. Mon environnement proche, professionnel et artistique est-il viabilisé pour tracer mon parcours ? À n'en pas douter, les multiples tâches qui incombent au professeur, comme les cours dispensés, mais aussi le choix des partitions, les auditions de classe, les actions pédagogiques en commun avec d'autres classes, les examens, le suivi de scolarité, le suivi d'instruments à faire réparer, les relations avec les parents d'élèves, les collègues et la hiérarchie, balisent déjà une route en elles-mêmes.

Tout cela en plus du travail personnel instrumental à la maison et de la pratique artistique dans les murs (conception d'un programme musical et participation au concert des professeurs) et hors des murs du conservatoire semblent constituer une démarche réfléchie et organisée par des actes distincts qui sont autant de repères pour le pédagogue. En tous cas ces multiples aspects planifiés forment un rituel à peu près invariant dans tous _ les conservatoires de France. Et l'on peut tout à fait légitimement justifier une certaine conscience professionnelle par cette suite d’événements répétés qui ponctuent ainsi l'année scolaire du professeur et en partie celle de ses élèves.

En ce sens, mon projet ne prétend pas rajouter une roue à ce mécanisme. Ce n'est pas de mon ressort, ni de mes attributs. Il s'agit plutôt de voir si par mon action concrète et soutenue par mes conceptions pédagogiques, je peux moduler ces activités en fonction des élèves, du contenu de mes cours et de mes échanges avec mes collègues, de telle sorte que mon enseignement soit perçu comme authentique et apporte sa contribution à une perception claire et positive des objectifs et de l'identité des conservatoires dans lesquels je travaille.

Dans cet esprit, je pourrai militer pour des actions particulières définies dans l'espace et le temps, dirigées vers ou hors de ma classe, avec comme unique souci la pertinence d'enseigner mon instrument.

points de vue:

la pratique musicale du point de vue de l'enseignant

Enoncé des évènements principaux de mon parcours professionnel.

J'appartiens à la catégorie des musiciens formés par le passage dans différentes institutions organisées de manière pyramidale de l'ENM au CNSM via les CNR. Après deux années de cours particuliers en piano, mon inscription à l'E.N.M de Montbéliard (25) pour cet instrument à 10 ans marque le début de l'apprentissage musical planifié par des contrôles, examens et concours. J'ai le souvenir que le caractère discriminant, s'il n'était pas explicite au début a été par la suite explicite en ce qui concerne le piano. Si plus tard au basson (débuté à l'âge de 13 ans),la pression a été moins forte jusque vers le 3ème cycle, mon professeur qui me poussait à travailler, l'attrait que j'avais à imaginer une carrière musicale associé à mon tempérament volontaire et introspectif ont formé en moi une dynamique évolutive : D'un côté ma sensibilité artistique, mon goût pour jouer et évidemment les succès relatifs entretenaient l'appétit de continuer, de poursuivre ma route.

Toujours séduit par la puissance d'évocation de la musique, j'ai toujours cherché à en découvrir les lois et à pénétrer ce monde par la pratique instrumentale. D'un autre côté, la concurrence, le contact avec le trac, la sensation d'inachèvement ou l'incompréhension face à des échecs ont aussi travaillé de l'intérieur ma perception de la musique et de mon rapport au monde, avec la dévalorisation de soi lorsque je ne saisissais pas le sens des événements. Comme beaucoup de musiciens, suite à leurs études musicales traditionnelles, nous entendons donc l'enseignement dispensé par les ENM, CNR et CNSM, à l'époque spécifiquement centré sur la pratique instrumentale, j'ai, dès mon entrée au CNSM, fréquenté des chemins apparemment éloignés de mon but :

  • La pratique du yoga avec François et Véronique Bock,
  • l'enseignement particulier d'un trompettiste connu, Jean Greffin trompettiste de L'Opéra de Paris et
  • d'une chanteuse, Marianne Malifaud (anonyme dans la diaspora des chanteurs) ont constitué une hyperbole salutaire et qui n'est pas étrangère à mon activité pédagogique.

Précisons ici que je n'insinue en aucune manière que l'enseignement suivi dans cet établissement prestigieux était insuffisant. Je rends ainsi hommage à la plupart des professeurs de cet établissement qui m'ont formé.

Aujourd'hui, enseignant à mon tour, je réalise la complexité de former un musicien, difficulté croissant avec le niveau artistique que l'on veut obtenir. Mais, il est vrai aussi que l'enseignement à ce très haut niveau met en question le dogme de l'hyper spécialisation. Cette remise en cause d'un enseignement monolithique s'est déjà opérée dans le monde scientifique. Où les chercheurs prennent conscience de la nécessité pour enrichir justement leur discipline de faire le lien transversal avec des disciplines très éloignées de leurs recherches. Par exemple, la génétique, la physique nucléaire, la biomécanique sont des outils puissants et indispensables pour aborder concrètement la paléontologie. S'il fallait résumer en une phrase mon itinéraire d'enseignant, je reprendrais la maxime qu'employait Jean Greffin : « apprendre pour enseigner et enseigner pour apprendre », tant il me semble que j'ai toujours associé le désir de « bien jouer » qui est pour moi le plaisir de transmettre à mon premier public : mes élèves.

De l'influence de certaines données artistiques ou caractéristiques sociales sur l'enseignant que je suis aujourd'hui.

Le monde artistique français a connu en 2004 une crise sociale majeure les grèves et les manifestations sans précédent des intermittents du spectacle, suite à la réforme drastique de leur statut. Sans rentrer dans des considérations particulières, il semble qu'un certain nombre de musiciens d'orchestres permanents, intermittents et enseignants vit mal les aléas actuels de la profession, et de la diffusion musicale. Pour les enseignants, c'est la sinistrose des concours techniques, administratifs et de la recherche de postes. La profession doit gérer un nombre élevé de musiciens de très bon niveau pour un nombre plus restreint de postes.

Il est clair que le développement majeur du tissu de l'enseignement spécialisé dans les années 1980 marque l'apogée du plan de Marcel Landowski. Ce plan est l'initiative, suite à sa création, du ministère de la Culture et de la pyramide de l'enseignement musical (ENM, CNR et CNSM). Les CNSM assurent la formation technique du musicien à un très haut niveau, ce qui encore dans les années 1980 garantissait un accès relativement facile au métier de musicien d'orchestre, le métier d'enseignant était, il faut bien le dire déconsidéré.

Sur ce débat justement lorsque j'étais étudiant à la Formation Diplômante au sein du département de pédagogie du CNSM de Paris (en 1991, c'était la première promotion), je me souviens des cours de Monsieur Lartigaud, professeur des sciences de l'éducation: il assénait un chiffre peu connu de la population musicale « 3% seulement de la population des élèves de conservatoire deviendront futurs musiciens d'orchestre ». Monsieur Jean-Claude Lartigot et son collègue Monsieur Eric Sprogis (co-auteurs du livre « Ecoles de musique, un changement bien tempéré », Edisud), pointent du doigt l'élitisme de cette pyramide dont l'orgueil et la gloire sont la fabrication de solistes instrumentistes. Mais des exigences de formation pédagogique pour l'accès à l'enseignement ont d'une part donné un réel statut à ce métier et tempéré l'idée dominante selon laquelle un super musicien était forcément un bon pédagogue.

Mon parcours me fait simplement réaliser que j'ai rencontré un bon nombre de très bons musiciens qui ne venaient pas des CNSM. Et dans la projection que j'ai de l'accession aux métiers de musicien aujourd'hui (enseignant, musicien d'orchestre permanent, intermittent), il me semble que le parcours classique (ENM puis CNR et CNSM) n'est pas un absolu et ne garantit plus une accession automatique et immédiate à la profession. Ainsi, l'accès aux dix CEFEDEM qui délivrent le Diplôme d'Etat d'enseignement peut se faire simplement avec un DEM d'une ENM ou d'un diplôme non contrôlé par l'Etat.

Le troisième point qui me semble important dans la prise en compte des lignes de forces du pédagogue qui se pose aujourd'hui la question de la portée de son activité, c'est l'élaboration par le ministère de la Culture du schéma directeur de 1991, qui a bouleversé nos mentalités d'enseignant. La différenciation sur le papier de l'amateur et du professionnel rompt avec l'uniformité de l'enseignement antérieur. La reconnaissance effective du statut d'amateur, le développement des pratiques collectives et la promotion des pratiques amateurs (création du Centre d'Enseignement des Pratiques Instrumentales Amateurs) sont des réponses à un intérêt non plus formatif mais récréatif de la musique. D'une posture dominante où l'enseignement musical avait, dans un rôle élitiste, peut être plus d autorité que l'Education Nationale, ces modifications de la politique culturelle consécutives d'un changement des mentalités peuvent laisser à penser que l'enseignement, du moins sur le plan institutionnel a adopté une position attentive à l'évolution de la société et de ses attentes.

La pratique musicale du point de vue de l'enseigné

Le rapport de la société avec la musique et les institutions enseignantes ont changé.

Puisque ces réformes signent un changement ou une volonté de changement de mentalité de la part du monde enseignant, il peut être intéressant de considérer le point de vue de l'enseigné qui lui est extérieur à cette évolution. À mon avis, il y a là une double dialectique. S'agit-il d'un :

  • assouplissement d'une certaine rigidité enseignante et donc finalement la reconnaissance d'une autorité bienveillante de la part de l'enseigné ?

Ou s'agit-il:

  • de la prise de pouvoir de l'amateur d'un symbolisme qui existe toujours : celui de la considération sociale de l'individu qui a accès à une « musique savante » par opposition à celui qui ne fait pas de musique ou qui n'a accès qu'à une musique inférieure ou populaire ?

Ce symbolisme prend ses racines dans le fait que la musique dans les communautés a toujours formé un lien social très fort, tour à tour fédérateur ou contestataire (fêtes de villages, la musique comme aide au travail ou expression de critiques envers un modèle dominant). Et les genres musicaux (par exemple la musique classique mais aussi le jazz aujourd'hui) sont toujours issus de l'extraction travaillée par une minorité de musiciens professionnels de ces courants populaires : la musique classique s'inspire des danses populaires comme l'allemande, la gavotte,la gigue.. le jazz est issu de la tradition orale des complaintes et des chants des émigrés noirs en esclavagisme, gospels, blues. Enfin, lorsqu'une certaine élite l'adopte et la distincte en la rendant savante, cette musique, perd son rôle médiateur originel.

Cette désappropriation devient alors critiquable. Dans les années 80, le décalage entre les musiques médiatisées avec le modèle de la musique classique considérée comme réservée à une bourgeoisie douée rend bien compte de son isolement et d'une fracture.

Constatons simplement pour la première proposition, que les conditions d'existence difficiles de notre profession ont eu le mérite de susciter une remise en question de l'enseignement à tous les niveaux :

  • Le comportement du professeur avec ses élèves. Il n'est plus tenu d'enseigner avec comme unique préoccupation : former des professionnels.
  • La possibilité pour l'élève de démissionner si la pression enseignante est trop forte crée à mon avis un rapport de marchandisation.
  • La nécessité si ce n'est d'enseigner les courants multiples et variés des musiques électro-acoustiques, celui d'être à l'écoute et de les digérer.

Sans juger des événements ou des conditions qui vont créer un rapport de force en faveur de l'un ou de l'autre, comme dans l'économie de marché généralisée, l'élève est devenu une ressource, à exploiter ou à protéger selon ! Il est certain aujourd'hui que le public sent assez bien et peut jouer sur la sensation d'être en situation d'offre ou de demande. Caractéristique de notre temps, il y a une profusion et une diversité des produits de consommation, mais aussi l'émergence de la notion de commercialisation. Ceci a façonné un modèle de consommateur exigeant un service ou un produit à la hauteur de ce qu'il a payé.

Le professeur de musique d'aujourd'hui n'échappe pas à la règle. Il ne peut ignorer la nécessité d'être séduisant tant dans ses rapports psychologiques que dans le contenu de ses cours : diversité des méthodes en fonction de l'élève, attraits par la mise en page et les illustrations, diversité du répertoire et intégration du répertoire médiatisé des musiques de film et des chansons, matériel pédagogique innovant partitions avec CD, possibilités d'enregistrement, mais aussi création de partitions par ordinateur....

Constatons aussi sans généraliser que ce rapport de marchandisation avec son corollaire, la rentabilité par la standardisation crée un risque réel lorsque les élus dans une évaluation de masse et d'économie d'échelle propre à l'essence capitaliste considérant que les classes où l'effectif est moins de 8 heures sont peu remplies pour l'unique raison que l'instrument n'est plus au goût du public les suppriment ou fragilisent leur pérennité. Histoire vécue ! Je me souviens encore de l'élu qui justifiait un avis négatif et maugréait sur ma demande de titularisation pour une petite classe avec un rien de moquerie sur l'instrument que je pratique.

Et ma réponse, bien qu'elle n'ait pas arrangée mes affaires, me semblait remettre une juste place à cette vue étriquée : « oui, ma classe n'est pas pleine comme celle d'un professeur de piano, ou de violon, mais il n'en est pas moins vrai que si l'orchestre du conservatoire peut fonctionner s'il manque un violon, il ne peut se passer de la présence de deux bassonistes »

Pour la seconde proposition, la pratique musicale peut être, par la reconnaissance explicite du statut d'amateur, être interprété à l'extrême comme une possession, un faire-valoir vidé de son essence. À titre d'exemple, je me souviens d'une famille dont l'enfant ne travaillait jamais. Après plusieurs mises en garde, sur l'échéance et l'épreuve que représentait le fait de jouer devant un jury, j'indiquai qu'il ne pourrait passer l'examen de fin d'année non pas comme une sanction mais dans le souci de protéger l'enfant du désarroi et de l'impact négatif qu'aurait sur lui cette épreuve. Les parents insistèrent pour que leur fils passe l'examen, car il avait ses chances et qu'ils étaient clients...

Fort heureusement une telle attitude clientéliste, est rare et finalement décontenancée par la réalité du « loisir musical ». Soulignons ici l'impact particulier du consumérisme et des loisirs : particulièrement représentatif, la production de spectacles audiovisuels où le public est fasciné par des artistes musiciens qui semblent jouer ou chanter avec tant de facilité, alors que la réalité du jeu en play-back est moins honorable sur le plan de la performance.

Voyons aussi les émissions qui fabriquent des stars musicales en 15 jours ou les synthétiseurs programmés qui procurent sans effort des mélodies tout à fait convenables et qui ringardisent l'effort et le travail des instrumentistes traditionnels. Et coup de massue, la diffusion par les médias de produits musicaux sans défaut, disques numériques travaillés, spectacles « live » !, crée chez le profane et l'élève une exigence de facilité, de perfection.

Tout cela me semble générer finalement un désir d'expression et de pouvoir tout à fait honorable mais, comme le prouve l'exemple vécu, la lutte est dure pour qui découvre en parallèle la réalité de l'apprentissage musical au conservatoire.

La place de la musique dans les activités extra-professionnelles ou de loisirs

Il reste que les cas intermédiaires existent. Les loisirs se sont développés considérablement et nous devons composer avec des emplois du temps d'enfants très chargés et des attitudes parfois ambiguës: tel cet autre cas d'élève qui ne désire plus s'investir dans les cours de formation musicale et de basson mais qui prend son plaisir à jouer en orchestre.

Il apparaît donc que nous ne pouvons finalement plus nous poser avec la mentalité et l'autorité de l'enseignant de l'Education Nationale. En contrepartie, la réduction du temps de travail et la désacralisation par les médias de la musique dite classique (celle-ci étant minoritairement diffusée par ceux-ci) a permis aux conservatoires de drainer un public adulte jusque-là délaissé. De même, les institutions musicales enseignantes font un double constat. Tout d'abord celui de voir les loisirs prendre une grande partie du temps libre qui auparavant était rempli par l'apprentissage instrumental. Ensuite celui, concomitant, de voir leur autorité naturelle s'effondrer. Elles ont en partie sauvé l'enjeu de garder un public par la création avec l'Education Nationale (garante d'un accès au savoir contrôlé) des classes à horaires aménagés. De même, si les loisirs, le temps libre, l'accès à la culture ont favorisé l'émergence d'une autre manière de vivre, plus individualisante, la richesse d'évasion et de connaissance des loisirs a diminué et relativisé l'emprise sur le public du « savoir et pouvoir - savoir » jusqu'alors détenu par l'enseignement général (Education nationale) et spécialisé (conservatoires de musique). Face à ses bouleversements, l'Education Nationale cherchant, comme les conservatoires, à reprendre place dans la société devient très attentive sur la formation artistique dans le cursus général comme une valeur que les loisirs ne sauraient dispenser.

Si pratiquement, et pour diverses raisons, celle-ci est de fait encore souvent absente des collèges ou sommairement enseignée, mon expérience m'a montré que les projets artistiques amenés par l'extérieur ont toujours bon accueil.

Synthèse de ces points de vue et création d'un pôle attractif à partir de ce qui me semble essentiel dans la formation d'un musicien aujourd'hui.

Quelle finalité ?

Les deux exemples d'élèves en difficulté relative par rapport aux exigences que demande l'apprentissage du basson posent en filigrane les objectifs et les finalités dont je peux raisonnablement m'assigner. Le cœur et la raison doivent participer à ce débat de conscience. Commençons par la raison, dont le cheminement semble plus objectif.

La raison
  • Au vu de certaines réalités pratiques, comme la désaffection des salles de concert pour la musique dite classique, la diffusion faible et élitiste de la musique classique par les médias, l'enseignement de mon instrument est-il encore d'actualité ?
  • L'exigence du public vis-à-vis de ce qu'il attend et le décalage entre ce désir de perfection et la réalité des contingences nécessaires à l'accès de la perfection instrumentale peut créer une distorsion importante que le professeur doit gérer. En ce sens le professeur doit définir des objectifs particuliers en résonance avec la personnalité de chacun de ses élèves et ses objectifs personnels.

L'orientation particulière de l'enseignement dispensé prendra en compte aussi bien le type de musique abordé, que les modalités du cours (individuel ou collectif, avec plus ou moins d'exigence sur le travail proprement instrumental, le besoin ou non de se produire devant les autres...)

Le cœur :

La maxime qui me semble caractériser mon parcours «apprendre pour enseigner et enseigner pour apprendre» est porteuse d'une alchimie particulière : ainsi il me semble que le musicien d'aujourd'hui doit porter au plus haut son niveau artistique (par le travail, la formation, la diffusion de son art) s'il veut espérer contacter, attirer à lui des individus dans son cours.

Cette conquête artistique, que mes élèves sentent chez moi, trouve sa force et une bonne partie de sa motivation dans la relation positive avec chacun de mes élèves. Ainsi leurs difficultés deviennent miennes, et comme nous le verrons plus loin, il est très enrichissant de découvrir et de faire découvrir au-delà de l'apprentissage de l'instrument toutes les composantes et potentialités humaines qui sont en jeu. Cette découverte progressive et mesurée d'un fond commun désacralise le « pouvoir pédagogique » et favorise sur un respect mutuel des rôles, un contact constructif pour chacun, élève comme professeur. En soi,il me semble que ce partage constitue une finalité réaliste et réalisable pour l'ensemble de mon public. Sur cette base, il me semble que nous sublimons les distinctions moralisantes entre élèves doués et pas, très investis ou moins, futurs professionnels ou amateurs.

Plus précisément, la musique révèle et valorise certains aspects vitaux qui nous appartiennent depuis toujours, mais avec lesquels nous pouvons perdre contact ou rentrer en conflit : la pratique musicale est et permet de coordonner, à la fois le corps, l'affectif et le mental. L'unification de ces trois corps, et le bonheur qui naît de cette harmonisation me semble concrétiser à la fois le désir et l'essence de la conscience humaine.

Mise en scène d'un scénario d'apprentissage musical : la vie d'une classe de basson

Mise en espace

La classe de basson : pré requis à la création, au développement et à la pérennité d'une classe de basson

  • Étant donné le prix d'un instrument neuf, il convient pour attirer le public de mettre à disposition, loués ou prêtés, des bassons en bon état pour au moins deux ans.
  • Pour développer une classe de basson, il faut le présenter aux enfants du conservatoire pendant les cours de Formation Musicale et proposer aux enfants de venir l'essayer.

J'ai, à plusieurs reprises, organisé à l'ENM de St Brieuc un atelier d'essai, calé avant ou après le cours de FM afin de mieux gérer l'emploi du temps « parents enfant ». M'adressant à des enfants entre 6 et 8 ans, soit il s'agissait d'une demi-heure individuelle (pour 20mn de concentration) hebdomadaire pour les plus grands ou d'un atelier à quatre d'une heure en prélude ou prolongation du cours d'Initiation Musicale. Cet atelier m'a permis de recruter des jeunes instrumentistes.

Comme je l'évoquais plus haut, mettre en commun des aspects communs à la pratique instrumentale et la FM peut être très porteur. Venir avec son élève réaliser au basson une ligne de rythme ou un chant permet aux professeurs impliqués de mettre en synergie leurs compétences et de susciter chez l'élève une curiosité et un attrait nouveau pour les aspects solfégiques en lien avec la posture, la respiration, l'imagination...(Je suis actuellement en relation avec l'association des professeurs de Formation Musicale pour réaliser un tel projet, affaire à suivre) C'est évidemment aussi un moyen supplémentaire de captation d'élèves. Cette sensibilisation à la musique par l'écoute active puis l'initiation instrumentale est applicable avec les classes de l'enseignement général.

Le travail fait régulièrement par une personne intervenant en milieu scolaire (DUMI) constitue un atout supplémentaire. Cependant, n'ayant jamais eu personnellement de coopération avec un dumiste, cette action ne peut être réellement efficace qu'avec la participation pleine et entière des professeurs de l'enseignement général. Ce qui suppose une formation artistique suffisante de ces professeurs pour que la musique dans la classe en coopération avec les intervenants extérieurs ait une portée didactique suffisante, et non seulement récréative, pour leur donner éventuellement le goût d'aller plus loin.

Dans l'attente de cette formation, qui à mon avis devrait pleinement faire participer les professeurs de conservatoire, lorsque je mets sur pied une telle action, je prépare une valise pédagogique pour que les professeurs de collège ou lycée puissent avoir quelques repères et quelques pistes de travail avec leurs élèves : écoute passive et active, sur des notions de timbre de hauteur de pulsation puis de rythme. Ces jeux font intervenir la mémorisation, une activité corporelle sommaire et = éventuellement l'improvisation.

Les outils de développement :

Aspects de lutherie

Constat: les enfants commencent la musique plus tôt que ma génération. L'inscription dans les classes de « Jardin Musical » peut se faire souvent à partir de 6 ans. Dès 8, 9 ans, ils ont déjà pour la plupart choisi un instrument. La fabrication récente d'un petit basson (marque allemande Wolf) de 30 cm permet de débuter dès ce jeune âge. Puis d'envisager la transition par un « basson petite mains », un kit monté sur le basson rallonge les clés très éloignées. Cette adaptation au plus jeune âge permet aussi de former les élèves à un niveau suffisant pour qu'ils passent un cap difficile dans la motivation vers 14, 15 ans.

L'apprentissage instrumental participe-t-il au développement global de l'individu ?

Comme je l'ai déjà souligné, il me semble que toutes les options de considérations instrumentales forment autant d'identités différentes et riches. Tel le choix d'un instrument ou la pratique de telle musique plutôt qu'une autre, le choix de jouer pour soi ou avec les autres, l'investissement plus ou moins grand dans la pratique, (depuis l'investissement « délibérément » moyen du jeune élève à celui important du mordu en passant par l'adulte qui aimerait disposer de plus de temps).

L'enseignant aujourd'hui se doit à la fois de répondre à toutes ces attentes, il est payé pour cela, sans pour autant perdre son identité de musicien accompli. Ce qui lui permet de transmettre une autre dimension à travers ces multiples situations. Mon parcours de musicien et d'enseignant que j'ai exposé succinctement en 1ère partie m'a révélé le formidable instrument de réalisation de soi, d'accomplissement personnel que constitue la pratique musicale. L'enjeu intrinsèque de l'apprentissage musical n'échappe ainsi pas aux dissensions sur le débat de l'amateurisme ou professionnalisme musical. Il s'agit donc pour moi et je pense pour le corps enseignant de respecter ce choix tout en valorisant divers aspects qu'induit la pratique instrumentale.

Elle vise ainsi à coordonner, et à amplifier trois niveaux de vie qui constituent l'intégrité d'une personne : le corps, l'affectif et le mental. Aussi, je me permets d'exposer à la suite une recherche personnelle sur ces constitutifs.

Le corps :
  • Dans mes études instrumentales supérieures, j'ai eu beaucoup de questionnement sur la relation entre l'expression musicale et sa transmission physique. Des remarques comme « Détends toi, respire...», si elles traduisaient un objectif louable ne m'étaient pas d'une utilité pratique. Pire encore, faisant un effort pour me détendre, et chercher un placement juste avec mon instrument, le manque de repères sur ce sujet faisait que ma recherche était désordonnée, infructueuse et frustrante.
  • Puis par l'intermédiaire de relations, j'ai expérimenté, dès 1989 une méthode originale conçue et développée par Monsieur François Bock, dont la profession d'origine est chiropracteur, formé aux Etats-Unis. N'ayant pas eu de cesse d'en apprécier les bienfaits, je la pratique encore aujourd'hui et je l'expose à mes élèves. Y compris mes très jeunes élèves qui apprennent ainsi à « faire de la moto pour mieux tenir son basson, à faire l'araignée sur un arbre pour mieux contrôler ses doigts, faire la posture de la pince pour mieux vider son air et donc produire un son et un jeu plus profonds ».
  • La justification de cette pratique d'exercices physiques trouve son origine dans le constat d'une part qu'une mauvaise posture conduit à effectuer un mouvement inefficace et déstructurant, d'autre part que le corps s'use si on ne l'entretient pas, enfin que la pratique instrumentale intense sans une base physique juste produit des désordres intenses (tendinites, contractures douloureuses, stress...)

. Le remède à ces maux passe par une utilisation judicieuse et équilibrée du système musculaire : un muscle pour être efficace dans sa fonction qui est la contraction ne pourra conserver à terme son potentiel de contraction que s'il est étiré par son partenaire antagoniste ( cf. plus loin les principes). Et donc à contrario d'un mouvement subi (par l'influence notamment de la pesanteur terrestre), l'élaboration d'un mouvement juste rendu conscient par une respiration volontaire permet de :

  • Découvrir ou redécouvrir des régions bloquées et de procurer un tonus structurant.
  • On apprend à mobiliser une partie du corps sans décentrer l'autre partie à laquelle elle se rattache. Par exemple, lever en hauteur le bras implique de baisser en même temps l'épaule à laquelle il est relié, mobilisant ainsi des muscles en synergie. Cette mise en œuvre, est source d'harmonie dans la mesure où on peut prendre conscience d'une chaîne musculaire qui relie la partie à son tout. De même on acquiert progressivement un sens discriminatoire et le corps comme le mental se dénouent.}
  • À plus à plus ou moins long terme, la posture initiale du pratiquant se modifie créant ainsi un potentiel d'expression insoupçonné, favorable à la sensibilité et création artistique.
  • Plus tard, en 1998, ma rencontre avec Marianne Malifaud (chanteuse soprano) a été aussi décisive dans l'élaboration du schéma corporel du soufflant. Cette personne m'a fait prendre conscience de la dynamique particulière des régions du corps qui participent à l'élaboration d'un son. En ce sens, ses cours basés sur l'enseignement d'Arthur Miller et de son livre «La pédagogie du chant» (ed ) forment pour les soufflants, le pendant pour les violonistes de la méthode élaborée par Dominique Hoppenot («Le violon intérieur» ed. van de Velde).

Cette pédagogie du corps permet de rassurer l‘élève sur l'existence de repères physiques précis et d'aider ainsi sans ambiguïté l'élève à se constituer une approche différente dans la réalisation d idées ou de sons musicaux les plus abstraits.

Le mental associé à l'affectif.

Si l'apprentissage des méthodes précédentes m'a permis d'approfondir les lois du corps et de sa relation avec la musique, il n'en demeure pas moins que l'interprète lorsqu'il joue s'exprime par le biais de son être, de son intimité .

Celle-ci aussi abstraite soit elle est néanmoins à la fois l'origine et le but de toutes nos pensées et actions. Cet agrégat constitue au fil de nos expériences et de nos réactions aux stimuli du monde notre personnalité. De même nous pouvons construire dans le domaine musical notre personnalité musicale. Si elle ne constitue pas et en aucune manière la personnalité propre de l'individu, et donc un critère d'appréciation personnelle, elle utilise cependant des capacités mentales de même nature que celles qui ont présidées à l'élaboration du caractère de l'individu et qui continuent de modifier sa personnalité au gré de la vie. L'expression artistique prend sa source et se nourrit du vécu de la personne sous la forme de souvenirs, de sensations et de leur coloration affective, et de la pensée créatrice dans une dynamique interactive.

Le travail de l'interprète et in extenso du pédagogue consiste à partir d'une partition d'intérioriser différents signifiants symbolisés par des indications de rythme, hauteur, durée ou indications de phrasé, de les organiser, de les conceptualiser puis les signifier par un geste instrumental. La cohésion et la cohérence de ce geste traduisent un niveau artistique plus ou moins accompli. Notons que l'essentiel du travail n'est pas la connaissance intellectuelle des différents signifiants, mais plutôt leur concrétisation psychomotrice, de telle sorte que le travail sans partition est capital.

Cependant j'aborderai, un peu plus loin (en 2.2.3) ce rapport au texte, supposant que l'élève s'en est affranchi.

Le travail mental, à partir de certains concepts sont des outils puissants pour transmettre l'essence musicale : par exemple comment faire ressentir la pulsation et le sens rythmique qui caractérisent un jeu instrumental expressif et performant ? Le mot pulsation vient du latin pulsare qui signifie pousser, lancer : on doit alors comme ancrage d'une pédagogie accessible faire appel au vécu de la personne dans sa manière de marcher, ou de faire des bonds, ou sa manière de lancer un objet. L'analyse des forces mise en présence dans ces gestes simples (pour le saut la pesanteur terrestre et la force musculaire) permet de mettre en lumière «une interdépendance de celui qui agit et ce qui est agi» selon :

  • Un premier principe (mis en évidence par les chinois) «l'observation des phénomènes met en évidence des forces qui sont organisées en une tension et une détente opposée mais complémentaires». L'élève et le professeur ont donc tout loisir de méditer ce principe à travers de multiples exemples et de l'appliquer à la réalisation des temps forts et faibles, par la gestion ordonnée du souffle et du phrasé. Ainsi le pratiquant prendra conscience qu'un souffle efficace n'est pas une pression d'air unidirectionnelle, épuisante et improductive, mais une compression d'air bidirectionnelle. Ce qui signifie que le musicien pour projeter son air à l'extérieur doit le concentrer à l'intérieur.
  • L'autre principe a été mis en évidence par le physicien Lavoisier « l'énergie ne se crée pas, elle ne se perd pas, elle se transforme». Ce principe fondamental deconservation de l'énergie dans l'univers est entre autres le point de départ de la thermodynamique et de l'étude des systèmes en physique.

Pour reprendre l'exemple du rebond, un corps situé à une certaine hauteur du sol, possède une énergie potentielle (dépendante de sa masse met de la hauteur h Ep= m.h). Lorsque ce corps tombe, cette énergie, potentielle diminue de plus en plus vite, jusqu'à s'annihiler et se transformer en énergie cinétique (liée à la masse et la vitesse de l'objet Ec=1/2m.v2 ).

L'analyse sur un graphique de cette transformation de l'énergie potentielle montante en énergie cinétique descendante, si elle était idéale (car en fait il y a déperdition en chaleur) s'inscrirait dans un cercle. Pour la musique, on peut parallèlement inscrire les notes d'un temps, la décomposition en temps forts et temps faible figurant un rebond de l'énergie musicale.

Cette figuration du rebond dans le cercle permet de saisir que si quatre doubles-croches doivent avoir la même durée, la nécessité de l'élan de la première double-croche lui fait occuper un espace plus important ( 1ère partie ascendante dans le cercle) que les trois autres doubles-croches (2éme partie descendante du cercle). Intégrer ces deux notions de «temps fort (élan actif) et temps faible (retour passif)» revient à lier aussi la pulsation et les appuis rythmiques aux lois de l'articulation des phonèmes et des syllabes (syllabe active et syllabe muette).

Cette image du cercle est virtuelle, mais parfaite pour visualiser et créer avec la participation de l'élan vital et des forces affectives (voir chapitre suivant) une mélodie souple et autonome.

Cette vie rythmique intérieure se concrétise par le travail du souffle. Sa décomposition en inspiration et expiration obéit aux deux principes de «tension et détente opposées mais complémentaires » et de « conservation d'énergie». Il est d'ailleurs intéressant de remarquer combien l'inspiration est souvent absente des préoccupations de certains musiciens ou d'élèves parce qu'elle semble négligente, vide de potentialité par rapport à l'expiration qui elle matérialise. C'est pourtant un axe de travail essentiel où intervient l'oreille interne, la concentration créative (par exemple « apprendre » à inspirer un son comme on hume une rose odorante).

La qualité de ce geste conditionne directement celle du geste complémentaire, l'expiration et inversement. Cette pédagogie de la décomposition a donc pour but de créer un réseau de connexions qui relie des concepts musicaux à des références corporelles, imaginatives, affectives qui obéissent à la fois à des lois communes à chacun de nous et qui concernent également chacun dans son individualité.

Le résultat de la coordination du corps, de l'imagination et de l'affect sur des modèles qui obéissent à des lois universelles permet de faire naître chez l'élève une représentation musicale. L'interaction harmonieuse entre l'idée et sa projection extérieure concrète développe par une connaissance rétrospective sa personnalité musicale. J'ai développé cette approche en partie grâce au contact avec les personnes citées auparavant (cf. le corps), et avec un trompettiste de renom (Jean Greffin, musicien de l'Opéra de Paris, aujourd'hui décédé).

Mais ma recherche artistique s'est beaucoup enrichie par un travail plus inductif sur la pensée. Ce travail intérieur, méditatif, a pour finalité de développer une concentration intense et des états d'esprit positifs. Cette pratique de yoga mental (avec Madame véronique Bock) cultive donc la force mentale. Conséquemment, c'est en musique la capacité à réaliser l'esprit d'une œuvre et à induire chez l'élève l'état d'esprit idoine. Si tous les points que j'ai développés dans ce chapitre paraissaient très techniques et trop éloignés des préoccupations immédiates de l'élève moyen, il me semble que ma quête de perfection artistique, qui n'est envisageable que dans une perspective professionnelle, m'a permis de manière spécifique de puiser des ressources dans des techniques de développement personnel et de mettre à disposition un enseignement instrumental qui puise sa raison d'être par une approche humaniste et non technicienne.

J'espère ainsi influencer favorablement le développement global des élèves. Ceux-ci par ailleurs aussi par leur sage ignorance naturelle et leurs difficultés instrumentales interpellent et enrichissent ma relation à un savoir technique. Cette sollicitation extérieure relativise les compétences acquises à leur juste place. Elle m'invite à faire l'effort de me vider de mon savoir, pour faire une place un lieu d'énergie négative : plus la déstructuration de mon savoir est importante, au point de sortir des concepts musicaux comme on l'a vu, plus cela fait appel (la nature a horreur du vide ) à une énergie positive, celle qui fait naître chez l'élève, le désir de créer et de participer au mystère musical.

Les formes de pratiques instrumentales comme facteurs de ce développement

Si dans mon cheminement professionnel et dans ma vocation d'enseignant, les techniques présentées dans le chapitre précédent m'ont été nécessaires, et si j'ai pu constater les bienfaits de cette démarche sur l'évolution instrumentale de mes élèves, il ne faut pas perdre de vue que l'enseignant tire aussi sa substance de la pratique artistique et des courants musicaux qui la traversent.

L'objet n'est pas ici de recenser tous ces courants, mais à partir de mon expérience, de dégager l'intérêt pédagogique qu'induisent certains langages ou comportements.

l'appropriation de l'écrit.

Si à priori, tout ce qui concerne le rapport à l'écrit est traité lors des cours de formation musicale, mon expérience et une certaine réflexion me poussent à revenir sur ce partage des tâches.

Tout d'abord, constatons que la majorité des élèves séparent l'apprentissage de la lecture des notes, la pratique du chant et du rythme faites en formation musicale et leur application en cours instrumental. Ils peuvent être même parfois assez bons en Formation musicale mais désemparé lorsqu'il s'agit de lire avec l'instrument. De même certains me regardent un peu vexés lorsque je leur demande de verbaliser des cellules rythmiques. Il m'apparaît que les élèves ne font pas le lien entre leur travail en solfège et l'imbrication des éléments solfégiques dans leur pratique instrumentale car ils ont un schéma trés réduit de leur formation musicale générale.

D'une part, le solfège leur semble inutile ou rébarbatif : n'ayant pas d'implication immédiate et vivante par le biais instrumental, ils ont très peu ou pas d'investissement affectif.

D'autre part, en cours instrumental, lorsque les notes et rythmes finissent par être joués péniblement, ils ont l'impression que tout est fait, puisque enfin ils font ce qu'on leur a demandé en solfège. Cette relation médiocre avec la formation musicale est frustrante pour le professeur d'instrument, le professeur de solfège et in fine décevante pour l'élève qui ne comprend pas pourquoi, il suit tant d'heures au conservatoire et pourquoi ses professeurs ne semblent pas très enthousiastes. Notre rôle est de former réellement des musiciens.

Et vivre la musique, c'est commencer par assimiler le rapport à l'écrit, c'est à dire explorer la magie que portent ces signes, en réalisant leurs non-dits. Nous nous situons donc à l'interface entre la pensée musicale subtile et les concepts concrets signifiant un point de départ à une accession sensible, intelligente puis effective. Ces trois modalités d'apprentissage, sensibilité, intelligence et force effective, si elles ne font pas des objectifs paramétrables et quantifiables, ni des finalités, car peut on réellement les finir même dans un avenir lointain !, constituent une culture pour laquelle l'élève, pourvu qu'il y soit convenablement préparé, ne peut qu'adhérer, puisque il est le point de départ et l'objet de cette aventure. Et donc le rapport à l'écrit ne peut être positif et instructif que si il éveille à cette participation modale. Nous n'avons pas appris du jour au lendemain notre « langue maternelle », les premiers sons émis concernent notre relation affective avec nos parents. Puis plus tard, les pédopsychiatres (comme Piaget ou Despins) l'ont montré, lorsque les liens affectifs ont provoqué une certaine maturation, l'apprentissage de la lecture peut commencer. L'intellect, qui s'exprime à travers l'oral et l'écrit, peut être déficient lorsque des problèmes affectifs prennent trop de place chez l'enfant. Mon épouse, orthophoniste et ses collègues psychologues, psychomotriciens, travaillent toujours à partir de l'histoire des enfants qu'elles reçoivent.

Aussi, la langue musicale doit être apprise dans ce contexte affectif. Rappelons que ce terme signifie ce qui nous affecte, ce qui nous touche. C'est le monde que l'on se construit derrière les mots, les actes, les sensations. Nous voyons donc un intérêt immédiat à travailler l'instrument sans le texte, ou alors avec un texte qui ne soit pas un obstacle. Celui de lier à notre monde affectif l'apprentissage musical. Il y a plusieurs degrés dans cet apprentissage. Depuis, la mémorisation d'un élément joué par le professeur et sa reproduction, en passant par le travail à partir d'un texte facile à lire (type étude ou vocalise sur un motif rythmique ou mélodique) ou. le travail sans lire en ayant simplement la partition à côté de soi au vrai «par cœur».

Ces variations sont importantes pour s'affranchir progressivement de «l'emprise du texte». Cette étape est déjà le signe d'une bonne concentration et d'une possibilité d'orienter ses forces à travailler le flux perceptif et la motricité du geste.

l'improvisation

Elle vient comme un complément naturel à l'apprentissage sans le texte. C'est pour moi, « l'âge des histoires qu'on raconte aux enfants». Ils vivent par leur répétition l'intensité de « liens nouveaux et anciens » tel un père qui n'est pas son père, un garçon ou une petite fille qui deviennent leur modèle. C'est à partir de ces histoires que les jeunes enfants jouent leur propre scénari. L'improvisation se développe à partir donc de la capacité à reconnaître l'ancien, à en faire du nouveau à partir d'un modèle Le sens de l'improvisation peut se développer à divers degrés de compétences techniques.

Reprenons le parallèle de l'apprentissage de la parole et des histoires. L'enfant fabrique son identité en s'extrayant progressivement des liens affectifs fusionnels de ses parents. Il doit donc se situer par rapport à eux. C'est le modèle des parents et de leur rôle structurant par leur différence, mais aussi leur rôle éducatif (permis, pas permis) qui permet à l'enfant de se situer comme objet d'une relation avec ses parents et son entourage. Il crée ainsi de manière affective une différentiation possible entre « je » sujet et « je » objet. Il élabore donc une syntaxe affective à partir des modèles relationnels de son entourage qui sera fondamentale dans l'élaboration de la syntaxe du langage. Et pour le langage musical, le modèle fondamental, c'est le rapport « tension-détente » qui structure les phrases et qui définit un langage harmonique.

Mais voici une mise en situation efficace et réalisée dans ma classe Pour le débutant, qui n'a qu'une compétence limitée avec son instrument et pas de culture musicale, l'improvisation est présentée sur le mode du jeu :

  • La préparation du terrain de jeu consiste pour le professeur à jouer tout d'abord l'air populaire « Au clair de la lune », harmonisé simplement au piano.
  • Puis j'incite l'élève, par l'écoute active et la répétition, à lui faire repérer oralement les différentes incises. Puis on associe ces découvertes verbales et auditives avec leurs correspondants musicaux : l'inflexion d'une question est significative d'une tension musicale que réalise une harmonisation suspensive. De même, l'inflexion particulière d'une réponse est significative d'une détente que réalise une harmonisation conclusive. Lorsque l'élève assimile ce jeu, il improvisera naturellement des questions et des réponses avec sa voix puis son basson.

Je provoque avec d'autres exemples musicaux, harmonisés au piano puis sans, les mêmes découvertes.

Dégagé des impératifs solfégiques habituels (lecture, interprétation des signes) et de certaines difficultés matérielles (on prendra soin de faire ce travail sur une tessiture facile), l'élève développera un sens harmonique par la reconnaissance de ce jeu sur la tension et la détente. Il cultivera de la même manière l'oreille intérieure sur la base de la mémorisation, de l'anticipation des sons. Petit à petit, l'élève opérera une stratégie organisatrice (du temps, des hauteurs et de la syntaxe musicale propre à notre culture) qui lui permettra grâce à la connaissance du phrasé de diriger pleinement son jeu. Pour le pratiquant confirmé (fin 2ème cycle au minimum), je sollicite la création d'ornementations sur des sonates baroques. Par exemple la sonate de J Fasch en do Majeur est une bonne entrée en matière...

Si je joue et fais jouer régulièrement assez régulièrement des pièces écrites dans le style du jazz, la pratique de l'improvisation en jazz ne fait pas partie de mes compétences. Mais j'espère dans un avenir proche pouvoir étudier sérieusement ce que j'envie chez d'autres musiciens.

la musique contemporaine

Dans le domaine de la musique contemporaine, l'exploitation des formes ouvertes propres à ce langage (cellules de notes sans métrique, à organiser soi-même, liberté compositionnelle, mise en scène ) ou des techniques particulières (flatterzum, sons multiphoniques, effets particuliers incongrus), permet de se dégager de l'exigence formelle de la musique traditionnelle et des comportements habituels et de favoriser l'expression de compétences pas forcément liées à l'intellect.

Pour les plus jeunes, il y a notamment « le petit moderniste », pièce de Piotr Moss dans le recueil histoires pour le basson (ed. Eschig). Cette pièce permet d'aborder déjà les techniques précitées et de dédramatiser l'élève qui a souvent une démarche crispée car trop formalisante. Il s'agit donc sur des techniques d‘écriture relativement souple (ainsi dans le petit moderniste, les multi-phoniques sont libres, il n'y a pas de notes précisées) de faire comprendre à l'élève par son attitude que la présence à soi et non au texte, que le contact qu'il établit avec ceux qui l'écoutent (avec une mise en scène) sont autant d'atouts pour une pratique musicale performante car épanouissante.

Cette démarche dans la démystification du rapport au texte, associée au travail sur la gestique instrumental (cf.2.2.2 ) vécue comme seule garante d'une expression significative qui subordonne le rapport aux signifiants d'un texte musical me semblent donner un sens et une adhésion possible à tous les cours que suit l'élève musicien.

Lorsque cette éducation qui privilégie, d'abord l'oral à l'écrit, le contact pragmatique au savoir intellectuel est ressentie comme telle par l'élève, il réalise alors que le contenu des cours et des différentes pratiques participent à un seul objectif : son émancipation.

Les pratiques collectives

Dans le livre « Ecoles de musique, un changement bien tempéré », les auteurs mettent à mal la dérive très française du modèle du conservatoire mis en place dès le XVIII ème siècle : celle d'organiser l'enseignement dans l'unique souci de former des solistes. (ibid. p.50,51). Cette critique n'est plus de mise, la réforme du schéma directeur ayant imprimé une politique de développement des pratiques collectives.

Le développement de ces pratiques me semble constituer une alternative intéressante à plusieurs degrés pour le répertoire soliste traditionnel de mon instrument qui dans la moyenne culturelle occidentale actuelle peut paraître désuet ou suranné. Concrètement, les bassonistes au sein d'un conservatoire sont toujours très demandés pour la musique de chambre, les orchestres d'harmonie, et symphonique. À tel point qu'il n'est pas toujours facile de gérer avec mes élèves un temps pour le travail de l'instrument.

Cette demande est cependant aussi pour mes élèves un élément d'émancipation et de reconnaissance.

A) Au sein de ma classe, la pratique collective forme le substrat d'une pédagogie de groupe. Étudions l'opportunité de cette pédagogie selon les groupes constitués.

Pour des très jeunes élèves, la mise en place de cours donnés à deux ou maximum quatre élèves répond à des critères de développement de leur jeune âge. Des psychopédagogues comme Piaget, ont ainsi précisé les modalités de développement de l'enfant. Celui-ci dont la capacité de concentration est limitée doit pour être stimulé répondre à des jeux variés.

Pour des élèves adultes qui ont peu de temps à consacrer à la musique, la pratique en duo ou trio donne un intérêt récréatif immédiat et permet dans un contexte détendu de mettre à contribution l'écoute mutuelle à la fois comme source de désinhibition et de développement de l'oreille intérieure. La pratique de la musique d'ensemble (à partir du duo de bassons) permet d'exploiter pleinement les ressources de cette pédagogie : partant du duo de bassons élève - professeur qui permet de diffuser un savoir par osmose, on peut mélanger dès le trio et au moins jusqu'au sextette des élèves de différents niveaux, grâce à la difficulté graduée des différentes voix.

Ce joyeux mélange permet à l'élève peu avancé de trouver sa place dans une dynamique de diffusion, elle suscite évidemment une émulation qui sera tempérée par le respect de chacune des voix. Quand nous parlons de respect et d'émulation, c'est tant sur le plan musical, ne pas écraser les autres voix ou au contraire faire entendre sa voix dans le contexte de groupe, ce qui suppose des comportements techniques différents du contexte soliste que sur le plan du respect de la personne en tant qu'individu appartenant à un groupe.

En effet la multiplicité des individualités qui sont réunies pour l'exécution d'une œuvre musicale qui de par ses caractéristiques techniques (superposition de voix interdépendantes) crée un pouvoir coercitif propre à la notion de groupe, peut créer des situations interpersonnelles, qu'on ne rencontre pas dans la pédagogie du cours individuel, à la fois délicates à gérer et riches d'enseignements : émergence d'alliances individuelles, choix controversé d'options musicales,effort et sens de communication, apprentissage de la tolérance et de la solidarité, nécessités de l'écoute sont autant de notions d'éducation et de comportements à la fois musicaux que relationnels qui confirment, il me semble que la pratique musicale (qui majoritairement est collective) est fondatrice d'une société, avec toutes ses composantes : règles de comportement, mais aussi émergence de groupes formés par affinités.

B) A l'extérieur, le développement des pratiques collectives est il si anodin ?

Les nombreuses sollicitations auxquelles mes élèves répondent (plus ou moins, c'est le privilège de la pratique de cet instrument rare) ne se limitent pas à aux activités du conservatoire mais aussi à la participation d'ensembles instrumentaux extérieurs.

Si de même on parcourt les plaquettes diffusées çà et là par les ADDM, on constate que ces activités sont très nombreuses et vivantes (je pense notamment à la musique traditionnelle bretonne, mais aussi tous les groupes de courants peu représentés dans les conservatoires, be-bop, rock, pop...). J'ai aussi en tête la participation de beaucoup de personnes de mon entourage qui ont constitué un groupe.

La création du CEPIA et l'évolution conséquente des crédits affectés aux pratiques collectives (ibid.« les écoles de musique », tableau P.146) attestent de ce foisonnement. N'ayant pas ni la formation et les compétences, ni la prétention d'affirmer ici de manière péremptoire une relation quelconque entre ce développement et un contexte économique général fragilisé, je m'interroge cependant.

Puisqu'il me semble que la pratique collective érige un microcosme social, est ce que cette activité culturelle dont la finalité n'est apparemment que celle de jouer ensemble, ne pourrait pas couvrir d'autres motivations plus ou moins inconscientes en raison du mystérieux pouvoir coercitif dont nous avons parlé ? Ainsi « cette obligation de faire » qui naît d'un au sein d'un groupe musical ne pourrait elle pas avoir un impact sur notre société, recréant un lien social fort.

La musique aujourd'hui n'est plus un instrument du pouvoir dans les nations. Cela n'a pas toujours été le cas dans l'histoire européenne occidentale. Comme contre-exemple, nous pouvons nous replonger dans les préceptes ou interdits de L'Eglise toute-puissante au Moyen-Âge. La musique est codifiée sous l'autorité du pape Grégoire Ier (VIIéme siècle A.J.C), la musique instrumentale est au départ interdite, notamment dans les lieux de culte. Il y a les intervalles autorisés (dits « consonants ») et les intervalles interdits (« dissonants »), ou honnis comme le fameux triton (quarte augmentée) que personnifie le diable et sa queue fourchue en forme de trident.

Mais comme valeur positive, l'ethno-musicologie a révélé dans les micro-sociétés africaines, l'utilisation de la musique, comme révélateur d'un pouvoir. Celui de chefs ou sorciers qui par des instruments de percussion font rentrer en transe la tribu et influent grandement sur les décisions du groupe. Aujourd'hui, en France, le monde musical est expurgé d'une influence sur les décisions prises par les sphères concernées dans des orientations générales de la société. Cependant, la musique est aujourd'hui encore médiatrice d'une contestation sociale, comme elle l'a toujours été ou d'une identité minoritaire, qui par son intermédiaire peut accéder à une reconnaissance sociale dont elle était jusqu'alors absente.

Le phénomène le plus récent est l'émergence de la musique techno, à partir de groupes constitués de jeunes issus de banlieues vivant en marge de la société et constitutifs d'un mal-être et d'une contestation sociale. Sans juger de la valeur esthétique ou pas de cette musique, constatons qu'elle peut exprimer des critiques sévères sur des modèles sociaux ( tels que le travail comme valeur sociale) sans que leurs auteurs en soient inquiétés. On pourrait dire que ces critiques perdent de leur force en musique, constatons simplement que cette musique a rapidement été médiatisée, conférant ainsi aux groupes qui l'ont véhiculée, non seulement un certain respect mais une représentation qu'ils ne soupçonnaient pas. Parti d'exemples, il peut être intéressant pour la pédagogie de comprendre comment, au-delà d'une simple addition d'individus, un groupe de musiciens peut devenir à la fois le lieu d'une expression collective (que celle-ci soit porteuse d'un message ou pas) et le creuset de la formation d'individus. Cette situation m'apparaît typique du bien fondé de la pédagogie de groupe et n'excluant pas, la pédagogie du cours individuel. Bien au contraire, je pense que l'existence de l'une justifie celle de l'autre par leurs directions contraires...

Où l'on retrouve nos deux forces antagonistes mais complémentaires. Illustrons notre propos en nous mettant en lieu et place d'un élève bassoniste au sein d'un orchestre. L'appartenance à un groupe qui véhicule un projet musical, le situe dans une dynamique centrifuge : c'est le plaisir de s'exprimer par la force de cohésion musicale de l'œuvre. Cette place vécue de l'intérieur, comme projection de soi à travers un groupe qui au moyen de son autonomie et son inertie relative semble dispenser l'individu d'une écoute trop individualisante, rassure et crée un état d'esprit euphorisant (qui ne se souvient pas de la fierté de son premier concert !) mais qui peut devenir divergent. Les premières remarques pour un élève dans l'expérience de la musique collective sont souvent révélatrices : « je me suis perdu, je suis dans une masse, mais je ne sais plus ce que je joue » L'élève est alors le jeu de forces qui le dispersent. Si ces forces dispersantes sont trop grandes, c'est le décalage, la perte de cohésion dans le groupe qui s'arrête. Le point de vue extérieur, celui d'une oreille exercée replacera la responsabilité de chacun par rapport au groupe, chacun essaiera dans une dynamique centripète, d'écouter plus près de soi, de se recentrer.

La nécessité du travail individuel même pour une vue artistique personnelle peu ambitieuse prendra alors toute sa force. L'excès de cette force centripète sera le comportement du musicien qui s'écoute trop, perdu dans des perceptions déformées par un individualisme mal compris. L'équilibre de ces forces est la juste relation d'un individu qui parce qu'il a une oreille interne suffisamment développée peut exister au sein d'un groupe, y contribuer activement, pour lui et en lui car capable de s'extraire de ce groupe pour mieux en saisir sa place relative. Il me semble que de manière corollaire, cette écoute participe à une écoute plus large de la relation à soi dans la perspective d'un groupe, créant ainsi non pas un individualisme égoïste (c'est-à-dire centré sur soi) mais une individualisation sociale (c'est-à-dire actualisant sa place dans la relation qu'il entretient au groupe, mais aussi grâce à l'influence que celui-ci exerce sur lui).

A l'image de l'instrumentiste soliste qui tire son pouvoir et son statut, non d'une exclusion ou d'une négation de la valeur du groupe qui le fait vivre, mais d'une compréhension accrue des lois musicales en général et de ses implications dans la pratique collective, de même on peut espérer que l'individu qui voudrait s'affirmer, devrait saisir qu'un réel pouvoir ne peut naître que d'une connaissance profonde des mécanismes qui le lient au groupe, découvrant ainsi par l'autonomie, le respect des autres, la tolérance, la fraternité, une individualisation grandissante.

conclusion

Faire le point sur ce qui m'a été enseigné, essayer d'exprimer les motivations et les influences qui ont modelé mon parcours artistique et pédagogique, telles étaient donc le point de départ de ma réflexion. Au carrefour de ces confluences, j'ai, depuis ma place de professeur, situé la crise des institutions musicales et de la réforme impulsée par le schéma directeur de 1991.

Pour sortir de cette crise, qui est l'expression d'intérêts divergents, celui du professeur centré sur des acquisitions instrumentales et celui de son public pour qui la pratique instrumentale n'est pas forcément ou ne se limite pas à l'apprentissage du basson, j'ai postulé qu'enseigner, plus que transmettre des doigtés, des conseils techniques dans un but de virtuosité démonstrative, c'était pour moi le défi, la gageure de participer à une formation qui engage l'être humain. Cette formation est complexe et procède d'une objectivation d'expériences et de gestes. La discrimination entre le sujet et l'objet expérimenté n'est jamais totale. Elle ne peut se réaliser qu'en partie par touches successives et par des chemins détournés. Ceux que j'ai empruntés sont assez éloignés des objets de la pratique instrumentale et je considère cet écart comme une chance. Celle de pouvoir médiatiser. La définition du terme média dans le dictionnaire Larousse « qui ne touche à une chose que par l'intermédiaire d'une autre » rend compte de ma volonté d'ouvrir des pistes singulières.

Ce faisant, j'ai redécouvert aussi le sens de la communication qui n'est pas celui de l'information. La communication est un perpétuel devenir, elle ne se repose pas sur des acquis, mais a le goût du risque. L'influence qu'elle exerce est lente, diffuse et profonde. Elle prend son essence lorsque perdant presque son objet dans cette opération de médiatisation, elle suscite en moi ou en l'autre, l'émotion, la surprise, le doute ou l'interrogation ou le souvenir... Toute la connaissance qui peut toucher l'humain. Au contraire l'information n'est qu'un achèvement. Plus elle est précise, plus elle s'intéresse à l'objet qu'elle véhicule, plus elle empêche l'homme de prendre contact avec l'objet. Son emprise est rapide et nous attire vers l'immédiateté et la surface des choses. Notre environnement est pollué, au moyen des technologies numériques et visuelles par cette surenchère informative qui avilit notre vitalité et le sens que nous voulons donner à notre vie. La vertu communicative de la musique attire donc chacun de nous et jouer d'un instrument sera un moyen comme un autre de s'ouvrir. Nous avons mis aussi l'accent sur le fait que la pédagogie de groupe était aussi un moyen de tempérer une attitude introspective qui ne s'intéresserait qu'à soi.

Le danger pour le musicien plongé dans sa pratique, c'est de perdre contact avec la réalité qui l'entoure. Considérons comme exemple, la crise non résolue des intermittents. La presse a fait écho de l'isolement du musicien en partie entretenu pour cultiver un nombre limité et choisi de relations et espérer sortir du lot. La déréglementation du travail dans ma profession fait son lit en partie par l'absence d'organisation et d'éthique dans notre profession. Il était donc important de prendre en compte la pratique musicale collective et amateur, pas seulement parce qu'elle correspond à une demande du public, mais aussi car ces conditions me semblent indispensables à une véritable individualisation. L'amateur, comme l'être social, aime ce qui le fait vivre mais pas au point de se confondre avec son objet. A contrario, lorsqu'une activité est utile à la société, si elle justifie sa professionnalisation, elle devient néfaste quand, ceux qui vivent de cette activité se corporalisent et utilisent ce pouvoir à des fins personnelles. La collectivisation d'une activité, comme celle qui concerne la pratique instrumentale responsabilise chacun dans la pérennité de cette activité. Lorsqu'elle est réussie, elle confère à chacun une fierté et une identité naturelles qui prennent leur légitimité dans une coopération intelligente à cette activité. A contrario, l'individualisation par la pratique d'une activité, est l'illusion d'un pouvoir personnel. Celui qui s'en affuble nourrit un sentiment de supériorité et d'indépendance par rapport aux autres. Il justifie ce sentiment par sa maîtrise de l'activité et s'attribue les qualités imaginaires ou réelles de l'activité qu'il pratique.

C'est donc un pouvoir par procuration, fallacieux parce qu'il nie la communication. J'espère que ces dernières considérations ne seront pas interprétées, par le lecteur et particulièrement s'il s'agit de mes collègues ou directeurs de conservatoire comme une limitation que je m'impose dans mon enseignement. Le professeur d'un conservatoire peut facilement s'isoler et se dégager de toute responsabilité, notamment celle de pérenniser son métier en formant de futurs professionnels qui prendront la relève. J'affirme donc, heureux de faire ce métier, que mon objectif est bien de promouvoir mon instrument et pousser chacun de mes élèves à leur potentiel maximum. Je suis bien content d'avoir formé des élèves professionnels ou des amateurs qui jouent en soliste dans un orchestre.

Mais, si l'enseignement musical, dans la réforme de 1991 a été plus ou moins contraint de se fondre dans un rapport social plus étroit sans vraiment y être préparé, je pense qu'il peut trouver des forces nouvelles. Trésorier de l'association « fou de basson », nous sommes plusieurs professeurs qui réunis en collectif, œuvrons pour faire vivre nos classes et rendre le basson populaire... Notre action vise à organiser des actions conjointes pour le développement de nos classes : échanges pédagogiques, concerts scolaires ou tout public, stages de musique. Un colloque qui se déroule tous les 3 ans permet de réunir le plus grand nombre de bassonistes de France et de l'étranger, pour des concerts, des classes de maître, conférences, mais aussi des luthiers, des éditeurs, des compositeurs à qui nous sollicitons la création d'œuvres contemporaines.

Enfin, je terminerai mon exposé par un souhait. Au vu des profondes modifications des pratiques musicales et de diffusion de ces pratiques et des institutions d'enseignement, ne serait il pas envisageable d'organiser des assises qui permettraient de redéfinir les métiers de la musique ? Elles devraient à mon sens prendre en compte tous les aspects de formation, financement et débouchés pratiques afin que chaque étudiant qui sorte des conservatoires ait une vue large et claire de son avenir.

François Palluel

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