Voici l'article intégral de la conférence de O. Blanchard lors du colloque Fou de Basson 1999.
SOMMAIRE
- l'héritage
- Le début du XIXè siècle : l'idéalisme.
- Le classicisme.
- Le romantisme.
- Le traité de Berlioz.
- La fin et les restes de l'idéalisme.
- Le développement de l'instrument et la fin du siècle.
- Les progrès de l'instrument.
- L'alternative de la fin du siècle.
- - V. CONCLUSION
Lorsqu'il s'agit d'interpréter une œuvre du XIXè siècle, le musicien semble, à première vue, beaucoup moins confronté à des problèmes d'ordre stylistique que pour la musique des siècles antérieurs, tant il est vrai que les critères esthétiques que nous connaissons aujourd'hui (critères d'originalité de l'œuvre, rôle dévolu à l'art...) sont déjà en grande partie mis en place à cette époque. Cependant, les récents essais d'exécution sur instruments dits authentiques montrent que cette proximité peut n'être qu'une apparence trompeuse.
Les œuvres de ce siècle méritent d'être considérées elles aussi dans leur singularité comme il est maintenant coutumier de le faire pour la musique dite baroque. Si l'on se penche sur le cas d'un instrument particulier, en l'occurrence le basson, cette optique s'impose d'autant plus que, d'une part, le XIXè siècle ne constitue pas une période très riche en œuvres solistes " majeures " pour l'instrument, à l'instar du hautbois ou de la majorité des vents, et que d'autre part, la mise en place des deux systèmes de facture demeure un point de focalisation quasi unique.
Ce phénomène, encore perceptible de nos jours, pour ne pas dire sensible, ne saurait rester un point d'ancrage unique et ne doit pas empêcher de considérer la diversité des courants présents au XIXè siècle. Il convient donc de s'abstenir de qualifier toute œuvre écrite à cette époque de " romantique " et de ne pas se limiter aux deux catégories généralement évoquées et très réductrices : œuvres de compositeurs pour un instrumentiste précis (Kozeluch, Danzi, David, Hummel, Berwald, Weber) et œuvres d'instrumentistes qui les jouaient (Gebauer, Jacobi, Almenräder).
Le XIXè siècle est un siècle marqué par d'importantes mutations, notamment dans la lignée de la Révolution française, qui justifient une étude détaillée des options esthétiques en présence.
Le rôle des instruments varie en fonction des idées directrices (que l'on se souvienne simplement du sens symbolique du cor à l'époque romantique) ; un examen approfondi peut aider l'artiste à affiner son interprétation.
I. L'héritage.
Aux XVIIè et XVIIIè siècles, le basson connaît un emploi fréquent, tout d'abord au sein de la polyphonie, puis dans le cadre de basse continue qui lui assigne une place presque constante. Mais cette basse continue constitue également un profond changement dans la conception de la musique ; en effet, fait nouveau dans la musique, un instrument, un individu, se dégage de la masse musicale pour exalter des valeurs individuelles : la musique cesse peu à peu d'être au cœur de la vie collective, acquiert son autonomie et met en exergue les qualités individuelles.
La virtuosité naît et avec elle le fossé entre artiste et " profane " (" la naissance du " public " au sens moderne est en chemin). Le musicien doit alors redéfinir sa place sociale puisqu'il ne sera plus au service de la collectivité, d'autant plus que la spécialisation autour d'un instrument mettra fin à la musique de corporation. Tandis que la place des cours dans la vie musicale va diminuer et que la bourgeoisie va de plus en plus exiger une représentation tant sur le plan politique (Révolution française) qu'artistique (Le barbier de Séville de Beaumarchais), une nouvelle entité indépendante va se constituer, révélatrice du rôle grandissant de l'individualité et de la bourgeoisie : l'orchestre.
A la cour de Mannheim, la place des instruments se fixe, préparant le classicisme et le romantisme : la notion de timbre devient aussi importante que la composition et l'on admire maintenant tout autant l'interprétation (individuelle), les effets d'orchestre (le célèbre crescendo de Mannheim) que la composition. Aux violons échoit la mélodie, nouveau cœur de l'œuvre, tandis qu'entre eux et la basse, les instruments à vents (" l'harmonie ") assurent le remplissage harmonique par de longues tenues.
La musique acquiert son langage propre et le fait que des gens comme Mozart, puis Danzi, Winter ou Weber soient passés par Mannheim révèle le sens du timbre qui va aller croissant. Chez Mozart, on trouve encore des traces d'utilisation d'instruments " au choix " (clarinettes ou hautbois dans le final de la 40ème), mais c'est là une tendance sur le déclin. Le basson y trouve sa place ainsi que le montre la présence de 72 élèves bassonistes à la création du conservatoire de Paris.
Les " Viennois " restent jusqu'à Beethoven dans cette tradition de codification de la place des instruments, le basson étant utilisé par exemple dans " l'unisson viennois " (basson jouant la mélodie deux octaves plus bas que les flûtes ou violons, et donc sous l'accompagnement).
Parallèlement, une mutation commence à s'opérer : celui qui était le " fier " ou " lugubre " basson est de plus en plus utilisé pour ses qualités chantantes et est même nommé en 1802 " instrument de l'amour " (Koch). Cette mutation progressive permettra à terme des utilisations plus variées de l'instrument même si cela reste modeste au XVIIIè siècle. La lutte entre formes héritées de la monarchie et idées nouvelles donne d'ailleurs lieu à de nombreuses expérimentations. Un témoin de ces tensions sociales est la symphonie concertante, compromis entre l'aspiration individuelle et la pluralité de solistes. Elle connaît une floraison significative pour finalement disparaître très vite dans les premières décennies du XIXè siècle (Pleyel, Danzi), ne correspondant plus à la société établie.
De même, l'octuor à vents, qui assurait une place au basson dans les petites cours en mal de représentation, assure une transition entre la musique de circonstance et la musique libéré d'un engagement précis : la Sérénade KV 388 de Mozart, dans le ton sombre de do mineur, n'a plus grand chose à voir avec la musique de table. De plus, l'octuor permet de faire entendre des arrangements d'opéras connus, montrant à quel point la musique devient susceptible de pérennité. L'octuor perdure quelque peu au XIXè (Beethoven), mais est vite supplanté par des œuvres plus ambitieuses, plus conformes à la conception nouvelle, de la musique, représentative de l'individu : .l'octuor de Beethoven sera transcrit par l'auteur lui-même pour ensemble à cordes. Les rares exemples de sérénades pour vents du XIXè siècle affichent une franche ambition classicisante (de Gounod à Dvorak).
La petite symphonie de Gounod fut écrite en grande partie pour mettre en valeur les capacités du flûtiste Taffanel ; en cela, elle est déjà contraire au genre. En tout état de cause, l'histoire de l'octuor témoigne des liens qu'entretiennent les vents et la musique militaire ; si Mozart, Haydn puis Beethoven utilisent ça et là le contrebasson, c'est bien parce que la musique militaire viennoise en prévoyait dès le XVIIIè siècle.
En cela, l'histoire du basson allait demeurer en partie liée à l'évolution de la musique militaire.
II. Le début du XIXè siècle : l'idéalisme.
Le XVIIIè siècle marque donc un tournant : en libérant progressivement la musique de la tutelle des cours et des églises, il oblige le musicien à se trouver une nouvelle raison d'être, qui ne soit plus liée à un employeur : Beethoven devra renoncer à son salaire de la cour de Bonn, une fois celle-ci dissoute par Napoléon.
Dans le même temps naissent la notion d'artiste telle que nous l'entendons et celle du public qui, en payant, juge et assure la subsistance du musicien. Un Haydn et un Mozart n'avaient pas besoin de réfléchir aux raisons d'être de leur art ; un Beethoven sera féru de littérature et de philosophie pour trouver un sens à sa musique. D'un côté, 104 symphonies " de circonstance " de Haydn, de l'autre, les neuf symphonies (dont une avec chœur !) de symphonies : l'oeuvre d'art devient quelque chose de plus en plus unique. Mais le XIXè siècle ne constitue pas pour autant un tout homogène.
Le danger du schématisme est d'autant plus grand que les différents courants peuvent fort bien coexister à la même époque (Goethe, classique, critiquant le romantisme, en offre une illustration) et que tous les genres n'évoluent pas à la même vitesse (le Lied de Schubert est déjà bourgeois alors que ses opéras demeurent dans la plus pure tradition italienne classique), voire varient selon les pays, la donnée nationale devenant très importante au XIXè siècle.
1°). Le classicisme.
Lorsque l'on parle de classicisme, on peut tout d'abord évoquer l'influence énorme exercée par Mozart au début du XIXè siècle. Les ouvertures d'un Rossini fourmillent ainsi d'unissons viennois.
Un concerto pour basson tel que celui de Hummel témoigne par sa structure de la persistance des canons dits classiques. Mais c'est là une conception restreinte du terme de classicisme. La Konzertsück pour basson de Berwald illustre l'évolution du courant : la partie de basson débute par une démonstration du registre et de la puissance du soliste ; le troisième mouvement concourt à une unité nouvelle de l'œuvre d'art, en reprenant le thème du premier. Le classicisme s'enrichit d'un fondement philosophique plus solide. Selon ses théoriciens, l'art, reflet de lois universelles (comme déjà chez Mozart), a pour mission nouvelle d'élever chaque homme vers l'idéal, cette humanité noble chantée dans " l'Ode à la joie ".
Chargées d'un bagage idéologique, fait nouveau, les formes musicales deviennent trop petites, comme en témoigne une symphonie d'une heure comme la " neuvième ". De même, les moyens augmentent : l'effectif orchestral (d'autant plus que les salles grandissent), la palette de nuances (le crescendo de Rossini, le sforzando de Beethoven).
Pour élargir les possibilités, les compositeurs utilisent davantage les vents, ce qui valut à Beethoven (surnommé " bête à vent " en France) le reproche de faire de la musique " militaire ".
Mais cette utilisation se cantonne principalement dans le domaine orchestral. En effet, le musicien classique nouveau doit être un colosse à même de montrer la voie de l'idéal : l'introduction du concerto de l'empereur montre le pianiste dominateur. De même, le quintette avec piano de Beethoven fait du piano l'acteur principal, à l'inverse de celui de Mozart.
De même, le quintette à vent, qui connaît une certaine notoriété au début du XIXè siècle, ne saurait en aucun cas concurrencer le quatuor à cordes, plus conforme au souci idéologique de l'époque car plus homogène et permettant un travail dense sur la forme.
2°). Le romantisme.
Cependant, à la même époque, un autre courant profite de ces progrès tout en les utilisant à d'autres fins.
Les concertos pour basson de Danzi traduisent cette évolution : celui en fa M contient certes un allegro de forme sonate, mais frappe par son unité motivique et ses modulations inattendues (faM->labM). Ici, l'artiste devient quelqu'un " d'à part ", qui doit stupéfaire. Le romantisme assigne en effet un autre but à l'art. Celui-ci doit révéler les harmonies cachées du monde (le romantisme est un idéalisme), que seul le génie peut voir. A ce titre, le génie ne connaît d'autre contrainte formelle que celle, individuelle, de son cœur. Par sa différence, il peut comprendre le sens caché du monde. Le concertino pour basson de Peter Winter préfigure ainsi par sa structure en un seul mouvement enchaîné les formes unitaires et cycliques. Une imagerie médiévale, chrétienne et nationale sous-tend ce courant (là où le classicisme est antique, païen et cosmopolite).
C'est dans cette veine que se situe la redécouverte de Bach et surtout de ses grandes œuvres monumentales (messes et passions), non sans influence sur l'emploi de vents à découvert : la cantate " Vom Himmel hoch " de Mendelssohn utilise le basson dans la droite ligne des airs avec vent obligé de Bach. Le compositeur ou, fait nouveau, le chef d'orchestre devient un héros à la fois admiré et rejeté. L'orchestre devient son instrument, ce qui se traduit soit par une soumission totale au soliste-compositeur (concertos de Chopin) soit par une recherche d'unité d'expression sous l'égide du chef ; Weber repositionne les pupitres et généralise l'usage de la baguette pour obtenir de nouveaux effets. Dans son concerto pour basson, l'usage des timbales à l'entrée du soliste ou l'accompagnement par deux cors dans le 2ème mouvement, la place réduite de la cadence, limitant les excès du soliste, témoignent de cette volonté de maîtriser la totalité des effets.
La dualité, facteur d'équilibre chez les classiques, devient ici facteur de tension expressive ; le jeu entre majeur et mineur en est un exemple. Or, il pose de nouveaux problèmes à l'instrument, exigeant de lui de nouveaux chromatismes, de nouvelles harmonies, voire de nouveaux registres, ne serait-ce que pour exprimer ce nouveau champ d'investigation qu'est l'irrationnel. Le début du 4ème mouvement de la symphonie N°3 de Schumann, utilisant en doublage trombones basses et bassons, met en évidence ce nouveau souci de recherche.
Même dans les opéras, l'orchestre n'accompagne plus, il participe à l'action et à l'expression.
3°). Le traité de Berlioz.
En citant beaucoup Mozart et Beethoven, le traité d'orchestration de Berlioz, édité en 1841, montre à quel point romantisme et classicisme, bien qu'absolument opposés, utilisent un substrat commun, obligeant l'interprète actuel à un travail de décodage pour une exécution plus fidèle.
Berlioz fait état des évolutions de l'orchestre, rend hommage contrebasson et au basson, mais, dans le même temps, il cantonne ce dernier dans un rôle qui le poursuivra longtemps.
Le souci de caractérisation qui anime le romantisme en est une cause. Ainsi, le basson se voit doté d'un " timbre dépourvu d'éclat et de noblesse ", d'une " propension au grotesque, dont il faut toujours tenir compte quand on le met en évidence ", tandis que son aigu est " pénible, souffrant, je dirai même misérable ". Cette conception illustre le souci de constitution d'un orchestre normé, véritable outil du compositeur.
Elle perdurera pendant plus d'un demi-siècle pendant lequel le basson trouve une place fixe à l'orchestre, mais au détriment de son rôle soliste.
III. La fin et les restes de l'idéalisme.
Les œuvres de Bernhard Henrik Crusell héritent de cette tradition et se situent dans la droite ligne du romantisme, à l'instar du concertino de Ferdinand David.
Cependant, une évolution se dessine. Ainsi, le concertino de David frappe par sa relative modestie formelle (2 mouvements seulement). De plus, une remarque du bassoniste dédicataire du concertino en sib majeur de Crusell, Franz Preumayr, dépeint ce glissement : Preumayr parle du concertino comme de son " cheval de bataille ".
Il s'agit maintenant de plaire et d'impressionner. Certes, l'œuvre a une forme encore assez ambitieuse (3 mouvements enchaînés), mais les termes d' "allegro brillante " ou de " polacca " et l'utilisation d'un air à la mode comme thème du deuxième mouvement annoncent une esthétique de la facilité, de la distraction. L'introduction du basson, loin d'être l'unique cadence, révèle le caractère de pot-pourri destiné à la bravoure.
Pour les idéalistes, la virtuosité était le reflet de l'ambition titanesque du compositeur ou de l'instrumentiste. Maintenant, elle est plutôt une brillance sans lendemain ; en effet, les courants post-idéalistes, parmi lesquels celui que l'on nomme " Biedermeier " renoncent à l'idéal, trop dangereux, tout comme la bourgeoisie renonce à une réelle représentation politique.
La musique n'aspire plus qu'à divertir au quotidien, dans le cadre de cercles privés (comme les célèbres schubertiades) ; elle devient soit plus intimiste et sans virtuosité (les lieder à accompagnement simplifié de Schubert), soit plus " gratuite ", ornée d'une virtuosité sans lendemain. Conradin Kreutzer et Johann Wenzel Kalliwoda, qui se sont succédés à la même cour, montrent la progression dans cette voie d'une génération à l'autre. Kalliwoda marque un pas de plus vers l'éclat destiné au salon.
De tels compositeurs se contentent de conserver les acquis du grand orchestre, mais n'expérimentent plus. Il est significatif que tous deux aient écrit pour le basson sous forme de variations : l'unique souci devient la facilité et l'agrément.
De même, le pittoresque, qui chez les romantiques servait à exalter des valeurs individuelles, devient un exotisme de bon goût. Le nombre impressionnant de mouvements de concertos écrits à la polonaise en est un exemple. Signe du souci essentiellement tourné vers l'effet immédiat, nombre d'oeuvres concertantes pour basson de cette époque adoptent la forme de pot-pourri, de fantaisie ou de thème et variations (le fichier " basson-XIXè " de la Bibliothèque nationale regorge de pièces intitulées " air varié ").
Carl Almenräder, bassoniste de cette époque le déplore lorsqu'il déclare que " le vrai concerto est un genre perdu ". Les variations et rondo de Kalliwoda seront publiées en 1856 alors que le Konzertstück de Berwald devra attendre 1990 !
Dans l'intérieur bourgeois, c'est le piano, partie intégrante de la bonne éducation, notamment des jeunes filles, qui gagne toutes les faveurs.
A l'inverse du XVIIIè, l'instrument à vent n'occupe plus la place prépondérante dans la musique de chambre. Le basson en fait les frais. Les rares œuvres qui existent sont bien souvent écrites dans des cadres pédagogiques qui expliquent aussi le recours à la facilité sur le plan formel. A cette époque fleurissent, à côté des variations (les bassonistes connaissent les variations sur " Au clair de la lune " de Gebauer), les transcriptions d'airs opéras et autres pièces " caractéristiques ", voire des œuvres franchement destinées à l'enseignement. La frontière en est d'ailleurs fluctuante.
IV. Le développement de l'instrument et la fin du siècle.
1°). Les progrès de l'instrument.
Le souci pédagogique grandissant influe naturellement sur le développement de l'instrument mais il n'en est pas l'unique cause. En effet, en dépit d'une donnée nationale grandissante, les idées et la musique circulent de plus en plus, demandant une plus grande homogénéisation, chaque instrumentiste pouvant être amené à jouer des œuvres pas forcément prévues pour son modèle. Le positivisme, croyance au progrès, compense ici le conservatisme des musiciens et explique de nombreux essais, corroborés par la collaboration fréquente des scientifiques et des musiciens.
Plusieurs facteurs favorisent la volonté de perfectionner l'instrument. L'harmonie est devenue plus complexe, et les modulations de plus en plus surprenantes deviennent difficiles à réaliser avec des doigtés à demi-trous et à fourches (qui expliquent que la plupart des œuvres concertantes pour basson du XIXè sont en sib ou en fa).
Les orchestres s'étoffent et les salles deviennent de plus en plus grandes, pour permettre aux musiciens ou aux administrateurs de plus grandes rentrées d'argent. Le basson développé par Almenräder puis Heckel, loin d'être l'unique exemple, cherche à être ne même temps plus homogène, plus à même de se fondre dans l'orchestre (l'instrument est un maillon de l'œuvre au milieu de l'orchestre) et plus sonore.
L'interdépendance entre progrès de facture et composition est totale. Compositeurs et instrumentistes demandent de nouvelles possibilités et tout progrès entraîne une démonstration ; le séjour de Wagner à Biebrich se soldera ainsi par l'utilisation du contrebasson dans Parsifal.
En 1909, Richard Strauss, complétant le traité de Berlioz, peut déclarer : " L'emploi du contrebasson, aujourd'hui très amélioré par Heckel, se recommande vivement ".
2°). L'alternative de la fin du siècle.
La " période bourgeoise " a permis à l'orchestre de se fixer dans la vie sociale. Par la suite, deux voies se présentent, profitant de manière égale des progrès réalisés, mais s'opposant dans leurs buts.
Soit on poursuit les expérimentations romantiques, comme le font Wagner ou Mahler (Symphonie des mille), soit on se retourne plus modestement vers les anciens pour y trouver des valeurs éternelles (Brahms). Wagner cherche ainsi l'œuvre d'art totale, unissant tous les arts. La place de l'instrument y est fonctionnalisée, à tel point que même le chanteur devient un instrument du compositeur, au même titre que les autres. Le basson est donc poussé dans le grave (d'où le célèbre bonnet Wagner).
Mais dans le même temps, on perçoit un début d'affinement : dans Tristan, Wagner préfigure presque l'orchestre de chambre feutré des " impressionnistes ". Les tenants des deux écoles illustrent un souci d'authenticité, révélateur de l'esprit dit " fin de siècle ". La recherche d'un ailleurs se fait alors jour, le pittoresque devient l'authentique : que ce soit dans l'orient de Schéhérazade ou dans l'Espagne de Carmen, les bois trouvent ici un rôle de tout premier plan.
Autre conséquence, la musique ne se veut plus belle ; elle veut être vraie : Nietzsche ouvre l'art à l'irrationnel, à la psychologie sourde. Dès lors, un Verdi pourra exiger d'une voix qu'elle sonne " laide " en fonction du rôle.
La musique trouve un nouveau champ d'investigation.
CONCLUSION
Le basson, tout en ayant alors trouvé sa place incontestée dans l'orchestre, n'en est pas moins cantonné à ce que Berlioz lui avait assigné. Lorsque Mahler l'emploie dans sa première symphonie pour jouer " Frère Jacques " en mineur, c'est avec une évidente volonté grotesque.
Strauss, dans son traité de 1909, résume la présence du basson dans l'unisson viennois de la façon suivante : " on croit entendre un vieillard suivant de sa voix défaillante les airs qui charmèrent sa jeunesse. ".
Lorsque Stravinsky confie à l'instrument le solo du Sacre (dès le début de l'œuvre et dans le registre aigu de l'instrument !), il montre à quel point l'orchestre est en quelque sorte uniformisé, sclérosé : il est temps de reprendre les explorations, d'autant plus que la facture a énormément progressé.
Avec l'impressionnisme ou le sérialisme, la notion de timbre va gagner de nouveaux droits. En 1934, Charles Koechlin, dans son traité d'orchestration, pourra enfin affirmer contre Berlioz qu'il est parfaitement injuste de qualifier le basson de manquant de noblesse.
Bref aperçu (incomplet) de possibles applications instrumentales
En premier lieu, l'interprète pourra s'interroger sur le rôle de la forme. Si celle-ci éclate au XIXè siècle, cela peut être pour différentes raisons : une œuvre classique reflète des idées, tandis que le romantique veut plus surprendre.
Au-delà de la forme, c'est le but de l'œuvre concernée qui devra faire l'objet d'une interrogation. La réponse à cette question permet de hiérarchiser les différents éléments constitutifs de l'œuvre. Ainsi, par exemple, les traits virtuoses ne jouent pas forcément le même rôle.
Ainsi, le concerto de Weber, œuvre plutôt romantique, possède une grande unité formelle et expressive où la virtuosité ne joue qu'un rôle subalterne.
A l'inverse, son rondo hongrois, beaucoup plus dans le goût bourgeois, fait étalage de virtuosité brillante, constituant avec l'agrément le véritable but de l'œuvre. L'interprète fidèle prendra conscience de ces différences, même au sein d'un compositeur. Enfin, en fonction du ou des courants abordés, le timbre de l'instrument pourra être plus ou moins uniforme, plus ou moins homogène.
La plupart des bassonistes le savent intuitivement, mais, bien souvent, on se contente d'une anche brillante (dite malheureusement trop souvent " romantique ") et d'une autre plus " lyrique ". Le développement de l'instrument au XIXè est suffisamment complexe pour que l'on affine ce découpage. Outre les applications en tant que soliste, c'est la fusion de l'instrument au sein de la masse orchestrale qui varie.
O. BLANCHARD